C’est à cette question que la permaculture me répond : mais c’est quoi, au fond, le rôle, la place de l’être humain ?

Je me suis souvent demandée ce que je foutais là. J’ai la plupart du temps halluciné devant un distributeur d’argent, ou en roulant près d’une zone industrielle. Il m’est arrivé de douter de mon humanité.

Est-ce que parfois, vous vous dites “non mais c’est pas possible, je suis un extra-terrestre” ? Avez-vous le sentiment qu’on vous regarde comme tel ? Comme pas humain, bizarre, idéaliste, à côté de vos pompes, doux rêveur, inadapté, fragile ?

Hé ???!!!! Inadapté à quoi, exactement ???

Je suis inadaptée à un monde qui est déshumanisé. Je déteste m’adresser à une machine.Et donc ? Ce serait être extra-terrestre ?

Refuser le plastique, préférer le contact physique, vouloir que le sauvage ait plus de place que mon gazon, c’est une inadaptation ? On est sûr de ça ? Qui a décrété une telle ineptie ?

Je nous revendique le droit de nous ressaisir.

Hervé Covès utilise le terme de “sentinelles”, quand il évoque ceux qui dans l’ombre, avec discrétion, favorisent le vivant sur leur petit bout de planète. Et il les remercie. Il nous remercie, et j’ai beaucoup de gratitude qu’il nous permette ce nouveau rapport à nous-même.

Un enfant, baigné dans les jeux vidéos et les pizzas emballées sera à l’aise pour vivre dans UN environnement. J’ai choisi pour les miens des vas et viens entre ces deux mondes. Leur sens critique sera un jour ou l’autre un atout. Ils ne sont pas prêts à vivre dans la forêt, mais ils commencent à entrevoir ce qu’est une saison. Ils apprennent à se sentir concernés par la sale gueule d’une plante dont ils ont la charge, et à agir pour la soigner.

Je suis d’accord pour mettre en œuvre tout ce qui se présente à moi pour raviver, ranimer, à commencer par la vie du sol.

Notre corps est un héritage

Nous sommes assez mal foutus, c’est vrai, et c’est peut-être ce qui nous rend si amères, et donc si agressifs. N’empêche qu’il a évolué dans la nature, qu’il est façonné pour y vivre.

Warren Brush parle souvent de nos pouces opposables, qui ont le don de soigner. Encore faut-il le décider. Vous pouvez vous servir de ces outils pour soigner. C’est un choix à faire : à quoi voulez-vous que vos pouces servent ? À consommer, creuser encore et encore la Terre, à asservir ? C’est ce que l’humanité à favorisé depuis longtemps. Depuis l’âge de fer, nous abattons des forêts pour forger des armes.

Je choisis de mettre mes pouces au service de la nature, parce que je suis elle, et elle est moi. Ça ne fait pas de moi un être arriéré ou fragile, à la merci des éléments. Au contraire, renouer avec le vivant, tout en restant connectée à mes congénères me rend plus puissante.

Notre rapport à la mort est de plus en plus débile.

Dans une prochaine vie, je serai thanatopractrice. En attendant, je regarde la mort avec admiration. La mort porte la vie, elle est son engrais, son possible, elle l’accueille et lui fait de la place.

Nous refusons de mourir, ou de laisser mourir. Le jardin est pour ça un merveilleux guide. Que de deuils nous devons réaliser !

Ce que nous plantons meure parfois sous nos yeux, et en plus, nous devons admettre que nous ne serons pas forcément spectateurs de nos réussites. Le jardin aide à savoir opérer un deuil.

Quand vous récoltez vos petits pois, leur mort vous nourrit. Lorsque vous alimentez le compost, de petites vies éclosent, la chaleur se produit, et lorsqu’il sera mûr, il favorisera la croissance des nouvelles plantes que vous choirez avec amour, avant qu’elles ne retournent, mortes, à la terre pour l’améliorer.

Je ne veux pas être incinérée ou être mise en bière, mais retourner à la terre. Pour ça, je dois être bonne à manger.

Notre rapport à l’espace est déséquilibré

J’ai accompagné mes parents faire les courses pendant les vacances. Dans un super marché. Ça faisait bien longtemps. Ça fait toujours aussi mal. L’enseigne a déménagé ses locaux à 200 mètres de ses bâtiments précédents. La place est vide. Son béton reste en place. Ils sont juste allé creuser plus loin. Je suis inapte à comprendre ça.

Nous nous comportons comme des colons, et en le faisant, nous nous tirons une balle dans le pied.

Lorsque vous vous promenez dans la nature, essayez d’évaluer le niveau d’anthropisation.

C’est effrayant, mais nous devons nous regarder en face. Cet été, une entreprise s’est garée devant chez moi. Ils venaient tondre dans la forêt. Le fou rire qui m’a prise n’était pas joyeux. Je suis obligée d’admettre qu’il est bien plus agréable d’aller dans les bois lorsque les chemins sont pratiques.

Pourtant, les animaux, (et donc, nous aussi, n’est-ce pas ?) sont en capacité de frayer des chemins, par leurs habitudes de déplacements.

Or, à juste devant chez moi, certains chemins ne sont plus empruntés. Pas parce que personne ne veut aller dans cette zone, mais parce qu’elle est précédée d’une décharge sauvage, gardée par des chiens. Cela veut dire qu’un seul être humain, par son non respect de la nature, entraîne le besoin de recourir à des machines.

Quand vous rentrez chez vous après votre promenade, allez voir les chemins empruntés sur géoportail, puis, dézoomez.

Que constatez-vous ? À présent, affichez la carte des cultures. Que ressentez-vous ?

Je ressens un profond besoin de racheter des terres, de proposer à des mairies des projets pas si fous, en partenariat avec les citoyens, pour redonner de la vie à ces terres mortes.

Le progrès ma brave dame

On me dit “mais enfin, Tita, les activités humaines génèrent de la pollution, c’est comme ça.”

Ha bon ? C’est donc comme ça. Alors que la plasticité de notre cerveau est énorme, et que nous savons inventer, innover, nous mettre à l’abri, je devrais, moi, admettre qu’on précipite nos enfants dans le chaos ? Hé bien non, en fait, non. Nous avons les moyens de permettre à nos chercheurs de travailler sur des solutions pérennes. C’est un choix délibéré de ne pas le faire, et ça nous en touche une sans bouger l’autre.

Les permaculteurs, à leur niveau tentent, essaient, se rappellent, innovent. Ce que je recherche, moi, c’est comment refroidir mon terrain au bon moment. Créer un bon coup de froid pendant l’hivernage des abeilles, amoindrir la chaleur générée par la route, et les agaçantes coupes des haies des voisins.

Ma place

Je suis à ma place. J’ai mon rôle à jouer. Nous sommes nombreux à le faire. Nous devons juste nous rassembler, nous sentir moins seuls, moins déconcertés, ou impuissants. La permaculture, les associations, les groupes de revendications sont l’occasion de trouver notre rôle, en tant qu’être humain ultra-terrestre.

Ce n’est pas moi l’extra-terrestre. Ce n’est pas moi qui creuse, profite sans rendre. La permaculture me rend fière de mon rôle d’être humain. Je suis loin d’être une extra-terrestre. Je suis au contraire ultra-lucide, et par mes pratiques, ultra-terrestre.

J’ai choisi : je veux soigner, être, marcher sans écraser. Et je vous attends.

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