Le 25 mars, au petit matin, des amies de mon jeune fils nous rejoignent. Nous partons à Sainte Soline.

Je n’ai vraiment pas envie d’y aller.

Ma peur au ventre, et toute notre pharmacie -c’est à dire presque rien- dans le sac à dos “médic” de Kéito.

Comme pour toute manifestation, chaussures et foulard sont clairement choisis pour courir vite, faire écran aux gaz lacrymogènes, et même un garrot.

Mais là, c’est pas pareil. Quelque chose ne va pas, et on le sait, au plus profond de notre instinct. Aujourd’hui on a aussi des lunettes et des masques. Une amie a pris un casque. Et nous des bonnets.

On retrouve un des cortèges, sans trop savoir si on va réussir à passer les barrages de polices. Malgré les recommandations, je laisse mon téléphone allumé, notre plaque d’immatriculation visible.

Je suis là, à mon corps défendant, pour la plus légitime des causes.

La cause de l’eau.

Toute personne portant atteinte à l’intégrité de l’eau, que ce soit par empoisonnement, détournement, capture en bouteilles me porte atteinte, comme elle porte atteinte à toutes les formes de vie. Toute organisation politique se rendant complice de ces atteintes se rend illégitime.

Car si je sais, elle sait. Et elle sait quoi ? Elle sait ça .

Nul n’est censé ignorer les lois de la nature.

Créer des bassines, c’est priver l’environnement d’une eau qui a mis des millions d’années à se stabiliser, c’est provoquer à terme l’arrivée de l’eau de mer dans les nappes.

Pour 6 agriculteurs sur 100, privant donc 94 travailleurs du sol d’une ressource en déclin.

Certains pays s’accaparent les nuages, privant les spores des champignons, et donc tout le système hydrologique de ses choix, en provoquant des explosions.

Bienvenus dans la souricière

Le cortège de nos voitures ne sera pas bloqué, pas inquiété, pas fouillé. Nous passons tous crème. On pourrait presque se relâcher de l’anus, tellement on nous accueille avec le sourire.

Mais, du coup, c’était quoi, ce délire, d’interdire la circulation sur toute la zone depuis la veille ?

Ma tension monte d’un cran, du coup. Je trouve ça très suspect. Pendant ce temps là, une dame comparaît pour avoir dit ce qu’elle pense de Macron. Et on voudrait me faire croire que ça va bien se passer ?

Comme un boulet accroché à la cheville

Comme un boulet aux pieds, je me traîne dans le cortège outarde rose, l’oracle maudit de Darmanin bien en tête. Il prévoit, et non prédit, que nous allons assister à des images violentes.

Je sais que je dois être là, au moins pour permettre à notre enfant, que l’on prive déjà de son droit à l’insouciance, à l’accès aux ressources, à une possibilité d’avenir, d’exercer son droit de le dire. Pour rappel, participer à une manifestation illégale, ou non déclarée, et parfaitement légitime, c’est le droit français qui le dit. La fRance, pays des droits de mon cul.

Des bénévoles observateurs de la ligue des droits de l’homme nous dépassent, pressés. Ils sont aujourd’hui sous la menace du retrait de leurs subventions.

Un groupe de clowns, armé de bouées canards et flamands roses s’amuse à jouer à “aller à la piscine”.

Car nous avons tous des lunettes de piscine, de ski, de chantiers, bien conscients de ce qu’on risque de se prendre dans la gueule du loup.

Des gens se trimballent avec des gâteaux à distribuer. Tout est calme.

Mais au loin, on aperçoit des policiers à cheval, et un hélicoptère nous survole.

La gueule du loup

On nous a donné des consignes pour protéger nos visages, et des petits papiers avec des numéros d’avocats. Ça semble déjà très dérisoire.

Je décide de rester en arrière. J’avance à petits pas. Je m’arrête souvent. Je hume l’air depuis le haut de la colline qui surplombe le champ. Le groupe n’est pas encore en complet en bas, que les tirs se font entendre, à raison de plus d’un par secondes. L’air devient irrespirable, lourd, dense, chargé. De loin, on dirait le bouquet final du 14 juillet. Ils font jaillir des paillettes roses sont en permanence.

Je suis posée là avec d’autres femmes de mon âge, et quelques jeunes. Un pied veut descendre vers le champ, l’autre veut retourner de là où il vient. Je regarde tout le paysage avec le regard de la chouette, à l’affût de tous les indices me permettant une vague compréhension de la situation.

Une épaisse fumée sort soudain d’un, puis de trois fourgons de CRS. Les autres vieilles dames et moi sommes consternées.

Nous essayons de trouver des informations. Bien sûr, c’est inutile.

Mon mari est parti rejoindre le cortège, et, notre fils, certainement en première ligne.

Mon cœur de mère ne sait pas s’il doit se jeter dans la fosse, ou rester derrière pour ramasser des morceaux de corps à la fin.

Une chouette sur l’épaule

Au moment où je me décide à prendre le risque d’être moi aussi blessée, nous entendons derrière nous des bruits de moteurs.

C’est là que nous sommes prix à revers par des quads. Ils foncent sur nous. Nous avons moins d’une minute pour nous concerter. Les décisions sont rapides : nous devons former plusieurs groupes, et surtout ne pas rester seuls. Plusieurs groupes ont peu d’être acculés dans le roncier sur la crête.

Je rédige un message pour prévenir que nous allons être embarqués.

Mais les quads nous snobent, et même nous lancent un petit signe de remerciement. C’est sordide. Je modifie mon message : “Attention, ils vont vous prendre à revers. Une dizaine de camions rejoignent les forces de l’ordre.”

Tous éparpillés

Les groupes décident de prendre des directions différentes. j’envoie la position que je vise à mon mari.

Lorsque je le retrouve, il a l’air grave, comme je l’ai rarement vu grave. En vingt cinq ans, c’est la troisième fois que je le vois comme ça. Les deux fois précédentes étaient des drames.

Il est passé par la rue des blessés, il a vu les quads lancer des grenades dans les jambes des blessés, à quelques mètres de lui. Il dit que c’est une boucherie, il ne comprend pas comment ils ont osé. J’attrape mon téléphone, j’appelle le 15. Mon mari reste en arrière. Son corps s’affale, il pleure, la tête entre les mains.

J’externalise mes émotions dans la chouette qui est sur mon épaule, pour rester efficaces. Je le paie très cher à présent. Ne pas laisser de place aux émotions a un coût énorme. Nous somme le 14 avril, et je reste très impactée.

Les secours répondent qu’ils sont sur le coup, mais que je dois rester en ligne.

Il est 14h28. La ligne est coupée.

Nous prenons le chemin de Couhé, pour retrouver l’endroit où mon mari a vu les blessés.

Je les regarde tous. Je cherche mon fils. Alors je les regarde. Je mets mes émotions dans ma chouette. Ma chouette voit des visages sans nez. Des crânes qui saignent, des jambes en sang. Elle voit surtout cette jeune femme, dont la bouche n’est qu’une plaie. Mais je l’entends hurler de douleur et de peur, qu’elle va mourir. Je vois toute la détresse de la jeune fille en blouse blanche qui lui tient la main. Je lui dit qu’elle ne va pas mourir, et que les secours vont arriver.

À l’orée du champ, d’autres blessés sont apportés dans ce chemin. Je crie vers le champ qu’on a besoin de personnel soignant.

Une infirmière et un médecin viennent. Ils me disent qu’ils n’ont pas de matériel. Je leur dit en souriant qu’ils ont leur cerveau, et leur donne ma gourde d’eau, puis je continue à chercher mon enfant.

Je ne le trouve pas. je retourne vers le blessé à la jambe que le médecin est allé voir. Il me dit, joyeux qu’il a soigné comme il a pu. Je lui indique que ce n’était que l’apéro, et qu’il y a des blessés plus sérieux dont une jeune femme qui hurle de douleur. Il y va d’un coup. Je le vois disparaître vers le chemin.

Je n’ai toujours pas de réseau.

Mon mari essaie de convaincre les secours, mais on lui dit que cela leur est interdit.

J’entends une silhouette qui m’est familière s’adresser au téléphone à quelqu’un, témoigner des violences, dire qu’il faut débloquer ça très vite. C’est le député Bitot. Je lui pose la main sur l’épaule, pour lui dire que les secours n’ont pas obtenu le droit de venir. il sait. Son regard m’assure que ça va se débloquer. Il est en ligne avec le cabinet de borgne. Dix minutes plus tard, on entend enfin une première sirène. Je me retourne, il n’y a plus personne.

La bataille est finie, la guerre des images commence.

Un flamand rose flotte seul au bord d’un champ de colza.

À côté de lui, je trouve Zerem, comme un gros baume au cœur. Ça doit faire dix ans qu’on ne s’est pas vu. Et ça, cette joie, cette consolation, personne ne me les volera.

Des images, j’en aurais plein à raconter. Je pourrais me fatiguer à en décrypter, et surtout à démentir. Mais cela a déjà été fait par des journalistes.

À chacun de trouver la vérité, car la nôtre est indicible. Nous le constatons chaque jour. Nous pouvons juste nous écouter en silence les uns les autres, au rythme que chacun aura pour dénouer sa gorge.

Je joins ici le devoir de licence de psycho, de mon fils Marss. Il n’était pas présent à Sainte Soline, mais son analyse confirme les questions que je me pose quant au message envoyé à notre jeunesse.

Une jeunesse à qui on a tout volé, et qu’on se permet en plus, de nier. Nous avons nous-même creusé leur fosse.

Analyse de Situation
La situation concerne un changement observé en manifestation dans l’attitude et les
comportements de mon amie (N.) envers les forces de l’ordre, changement que j’essayerai
d’expliquer par des notions vues en CM.


N. ayant un père CRS elle n’a aucun problème à aller discuter paisiblement avec les forces
de l’ordre en manifestations. Le mercredi 22 mars à une manifestation en centre ville de Poitiers,
voyant qu’elle discute avec le commissaire de police, curieux, je viens écouter ce qu’elle lui dit et
elle porte un discours individualisant « Je sais pourquoi vous faites ça […] je sais que vous avez
juste envie d’être avec votre famille etc… » et lui a demandé de dire à ses collègues de ne plus
lancer les grenades en cloche car cela avait blessé et traumatisé une jeune fille qui était juste là pour
manifester paisiblement, ce qui a été pris en compte puisque quelques heures plus tard les grenades
roulaient au sol.

N. avait donc une assez bonne image des policiers, et les voyait en tant qu’individus.

Le samedi 25 mars soit trois jours plus tard elle s’est rendue à St-soline ou elle a été
témoin de violences extrêmes de la part des forces de l’ordre qui ont utilisé des armes de guerres et
blessé gravement nombreux de ses amis et camarades.

Le jeudi 30 mars à une manifestation en centre ville de Poitiers en passant devant une poignée de policiers elle crie « ACAB » (All Cops Are Bastards) avant de débattre avec eux, et affirme « Un bon flic est un flic mort ». Comment à t’elle
été menée à penser que « Les policiers sont, comme tous, des victimes du capitalisme car ils sont
obligé de travailler pour vivre» puis moins de dix jours après que « En choisissant de protéger ce
système, ils sont tout aussi pourri que celui-ci » ?


Nous allons essayer d’expliquer comment les contacts réels négatifs on provoqué des
changements radicaux dans l’attitude et les comportements de N. envers les forces de l’ordre. De ce fait nous irons voir les prérequis à l’action collective ainsi que les effets mobilisateurs des contacts
réels pour le groupe dominé.


Par rapport à l’action collective il est important de préciser que N. a toujours été très
engagée et n’a pas attendu les évènements de St-Soline pour manifester presque quotidiennement et militer sur les réseaux sociaux, ce qui montre son fort sentiment d’efficacité collective.

Il ne s’agit pas ici de démontrer qu’elle est son engagement dans les actions collectives mais que celui-ci s’ est intensifiée.

En militant sur la base quotidienne et avec de nombreux amis manifestants nous savons que N. s’identifie fortement à l’endogroupe(manifestants).

Elle ressent une privation relative, des droits humains fondamentaux étant ici considérés comme ressources. Cela entraîne des émotions négatives comme un ressenti d’injustice, de la peur et de la colère envers l’exogroupe(policiers et gouvernement).

N. réunit donc tous les ‘ingrédients’ pour opter pour l’action collective.
Le groupe dominé a eu un contact extrêmement négatif avec le groupe dominant, des
interactions violentes avec une inégalité de statut forte dès le départ. Une interdépendance négative
puisque objectifs opposés. On observe également un non-soutien de la part des autorités
(ambulances empêchées d’intervenir, la majorité des médias/politiques tenant un discours plaçant
les manifestants au rôle de terroristes).

Ce contact a eu comme effet de renforcer l’identification des dominés à l’endogroupe et leur colère vis a vis du groupe dominant, lors de la manifestation contre
les violences policières du 30 mars c’est pas moins d’une dizaine de slogans contre les forces de
l’ordre qui ont été criés.


Le contact direct fortement négatif que N. a vécu avec les forces de l’ordre a un effet mobilisateur
pour le groupe dominé, notamment par l’accentuation de son identification au groupe des
manifestants. Ce même contact négatif ayant renforcé de manière générale la colère chez
l’endogroupe, il explique le changement d’attitude et de comportement de N. envers l’exogroupe.

Marss Parenthoën

Morts et vifs

Nous nous retrouvons peu à peu, et tous vivants. Mais quelque chose de vital s’est cassé en chacun de nous.

Ceux que je croise, et qui étaient là, ont tous de nuits agités. Je hurle parfois dans mes rêves. J’ai le sens de ma vie affecté.

“Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes.” C’est ce que dit la loi pénale française.

Alors, comment exécutif se permet-il un tel manquement aux règles, dont il force les traits, et dont il tord les bras pour parvenir à des fins autoritaires ? Alors, comment ose-t-il mentir, manipuler, ne pas assumer ses propres actes ?

Darmanin a écrit le scénario plusieurs semaines à l’avance, on nous a accueilli par des tirs. Et nous devrions disparaître.

Vous connaissez tous cet adage : “Ils ont voulu nous enterrer, mais il avaient oublié que nous sommes des graines .

Des graines, j’en vois des toutes jeunes autour de moi, qui ont sorti leurs premières feuilles en pleine covid, qui ont supporté l’effort, au détriment de leur santé mentale, pour sauver une population hors sol, incapable de se remettre en question, et qui vote mal. De jeunes plantes à qui on veut faire porter tous nos lourds fardeaux, sans jamais entendre le souffle déjà fatigué, à qui on donne du Xanax plutôt que de récolter l’eau des toitures des supermarchés.

Les arbres ont commencé à déstocker leur carbone. Qu’en sera-t-il de nos enfants qu’on étouffe ?

Ça va pas bien se passer, Gérald. Et je jure à toutes les sources de vies que ça ne va pas bien se passer pour toi, à partir de maintenant. La prochaine fois, ce n’est pas une chouette que je déposerai symboliquement sur mon épaule. Non, ce ne sera pas une chouette.

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