( Communication violente est une fiction, un texte qui parle de solastalgie)


Tu croyais vraiment pouvoir continuer comme ça ? À bouffer comme un porc qui croque la queue de ses congénères dans un espace confiné ? À acheter des emballages, à chier dans l’eau, à te laver aux billes de plastiques, à éradiquer les mauvaises herbes, à recouvrir la terre de vêtements en polyester, à mépriser ce que nous nous tuons à dire depuis longtemps sans jamais avoir voulu le réaliser ?


Tu pensais vraiment que ça se mangeait, les emballages ? Que la terre était capable d’absorber tous tes mégots ? Que les écolos étaient des connards de bobos qui s’ennuient et aiment passer le temps en faisant peur aux braves gens ?

Tu croyais que c’était « ça », la vie ? Te lever le matin, poser ton chiard à la crèche pour y passer ton salaire, rentrer abruti pour te « distraire » devant Hanouna, prévoir du glutamate emballé pour le repas de demain midi, le chauffer sous les ondes en disant du mal de n’importe qui entre collègues, faire couler un café dans une capsule en alu, que tu ne recycleras jamais, avalé sans en reconnaître le goût, avec un chocolat dégueulasse sorti sans y songer d’un emballage individuel au fond assez laid, tout en continuant à tapoter sur ton téléphone au prix de combien d’enfances de petits nègres dont tu ne croiseras jamais le regard , et c’est tant mieux car on pourrait s’y noyer ?

Tu ne savais pas qu’on était dans un espace fini ? Tu croyais qu’il était tout à toi ? Qu’il allait
s’étendre, peut-être ? À moins que tu ne sois un de ces riches texans qui a construit son bunker dont la cave ressemble déjà à une exposition d’Andy Warrol, quitte à crever de solitude, ou pire, de promiscuité avec sa famille peroxydée, le reste de sa pauvre survie ? À MOINS QUE … attends , je sais : tu pensais aller confortablement cryogénisé sur la planète B ?


Mais comment on a fait pour se couper comme ça du reste de la vie ? Pourquoi on l’a fait ? À quel moment c’est arrivé ? Pourquoi personne ne s’est alerté ? Pourquoi on bouffe du sucre ? Comment ça se fait que notre cerveau ne fasse rien quand on retire du fric ? Comment on a fait pour faire taire notre corps ?


J’en ai marre de vous. Les sales petites vieilles bourgeasses à boucles d’oreilles, là, que je croise dans les magasins bios, à remplir votre cabas Vuiton de portions individuelles sous plastique.
Comme je vous hais, d’ailleurs, les enseignes bios, avec votre opportunisme écœurant, vendu dans du plastique, entouré de carton. Comme je vous vomis, ceux qui disent que le round-up est moins dangereux que le café … et comme je vous plains.


Comment je vais expliquer ça à mes mômes ? Comment je peux cacher à mon fils amoureux, quand il me dit qu’il veut un jour devenir père, que je n’y crois plus ? Que je sais lui avoir enrobé les organes reproducteurs de produits dissimulés dans ses couches, que son amoureuse a certainement l’utérus abîmé par l’utilisation de tampons au glyphosate, au chlore, à quoi encore ? Qu’autour de nous, c’est procréation assistée, fausses couches, malformations et compagnie ? Que leur avenir est une notion désuète.


Comment je fais pour les envoyer encore à l’école le matin, alors qu’au mieux, je devrais leur
apprendre la forêt, qu’au pire, je devrais tous nous étouffer dans notre sommeil, pour ne pas avoir à regarder les oiseaux crever, contempler la mort des insectes, s’empoisonner à l’eau potable, connaître la famine sous les yeux des riches qui rient en crevant moins vite que nous mais sûrement ? Que dans dix ans au mieux, alors qu’ils n’auront appris qu’à se servir d’une tablette, ils devront s’arracher eux-même leurs dents cariées, savoir d’instinct distinguer ce qu’il restera de plantes, mettre au monde une progéniture vouée à l’échec ? … Que le monde qu’ils apprennent ne sert qu’à les soumettre ?


Comment admettre que je suis criminelle de les envoyer à la cantine le midi, s’empoisonner à coups de pommes cirées, tout ça pour gagner peau de balle, payer en silence les taxes sur les produits, savoir que les producteurs se pendent de nous achalander en creusant leurs dettes ?
Comment répondre à leurs angoisses ? Dois-je dire la vérité et tuer tout espoir en eux, dois-je travestir ? Mentir ? Inventer ? Me persuader de quoi ?


Comment leur avouer que je regrette tant, que je suis navrée, vraiment, que je ne voulais pas leur infliger tout ça, que j’ai été égoïste, naïve, amoureuse, optimiste, que je leur demande pardon. Que je suis contente de les avoir tenus dans mes bras, si fragiles et confiants, comme j’ai été émue d’avoir tenu des oiseaux dans ma main, cueilli des framboises au petit matin, attrapé des souris, des lézards, des couleuvres, d’avoir senti l’odeur du foin, le parfum des fleurs, posé mes pieds dans l’eau froide du printemps, appris à nager dans une rivière, regardé les nuages se déformer, vu des dauphins jouer dans le plancton phosphorescent, observé une souche d’arbre remplie d’abeilles sauvages, ouvert la porte aux canards, marché pieds nus dans la rosée, couru après les génisses, trouvé des nids, soigné une grive, aidé un cheval, mangé des fraises des bois dans la forêt, écouté le
bruit de mes pas sur la neige, écouté le silence , la musique, vu tant des choses merveilleuses inventées par les humains, eu la foie en notre capacité à réparer, comprendre, savoir, être transportée d’amour, d’amitié, de gratitude, de confiance, être animée de sentiments si doux qu’on en pleurait, si forts qu’on en criait, si puissants qu’on en riait.


Tu te rappelles, l’espoir, comme c’était beau, comme ça nous portait ? Tu te rappelles quand on y croyait, quand on imaginait, quand on luttait, quand on passait pour des fous ? Quand le bien commun était notre raison de vivre.

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