L’effondrement des abeilles : un concept abstrait quand on a pas trouvé un essaim mort sans explications.

Je dois récolter un miel au petit goût de larmes, au petit goût de sel.

Il y a méprise. Gaya, Je ne voulais pas ce cadeau là. Le miel ne m’intéresse pas tant que ça, je voulais juste aider des abeilles.

Dans notre chambre, les hausses attendent qu’on les ausculte. La cuisine est envahie de saladiers surmontés de passoires. Le radiateur du salon est bordé de chaises qui accueillent ce qui coule lentement, une dernière fois. L’odeur est partout.

J’ai découvert ma colonie d’abeilles entièrement morte. Une grosse colonie. Je ne sais pas encore par quel bout je vais attaquer ce deuil, qui m’en rappelle d’autres. Ça va me prendre du temps.

Le mercredi,tout allait bien. J’ai juste eu le besoin d’effacer mes traces : les érosions, des morceaux d’objets humains. J’ai senti aussi la nécessité de protéger le terrain.

Les abeilles allaient bien, semble-t-il, ainsi que tout le reste.

Alors j’ai semé, clôturé, nettoyé.

Je trouve les traces humaines laides, et déshonorantes. Autour de mon oasis, elles sont nombreuses, ignobles, pénibles. Glyphosate, plastique, tonte, haies brisées. Ça me pose question sur mes ancêtres. J’ai beau savoir qu’ils ont fait comme ils ont pu, je suis écœurée par nos pratiques, les témoignages de ce que nous laissons derrière nous.

Rien n’a besoin de moi, alors je tente d’amoindrir les traces de mon passage sur terre.

Le dimanche soir, je suis revenue avec des nouveaux arbres, et j’ai trouvé mon mari déconfit, mon fils horrifié, mes abeilles mortes. J’ai rentré la ruche à l’intérieur. On ne comprend pas. C’est dur de faire le deuil d’un événement incompréhensible. Il y a du miel pour trois essaims.

La chouette est venue hululer au dessus de nous. J’ai l’espoir de savoir rebondir.

Le lundi, nous ne sommes pas allé à l’école, ou au travail. Nous avons pris soin de notre tristesse. Et le reste, on verra plus tard.

Je ne faisais pas ça pour le miel, mais pour les abeilles.

J’avais suivi un stage d’apiculture, en ruche Warré. Je ne voulais pas avoir une ruche, je voulais en savoir plus sur les abeilles, savoir quoi semer pour elles, comprendre leurs cycles et leurs besoins.

Dans les exercices à réaliser, il y avait construire une ruche. Alors j’en ai une. La ruche Warré est plus respectueuse des habitudes des abeilles.

Ce qui m’a surprise, c’est le calme qui m’a envahie au contact des abeilles. On ne peut pas tricher. Si on est stressé, en colère, elles aussi. On ne met pas de parfum, on ne se place pas devant l’entrée, on admire, et on respecte.

On avait mis en place un accueil chaleureux.

Et puis un jour

J’étais dans le verger avec les poules. Je ne comprenais pas cet énorme bruit. Tracteur ? Avion très bas ? Ça ressemblait au bruit des abeilles dans les tilleuls. Mais les tilleuls n’étaient pas en fleur. À moins que tout en haut ?

J’ai levé les yeux vers la cime des tilleuls. Le ciel au dessus du verger, noir sous le soleil. Un nuage sonore, mouvant. Elles se sont posées là.

Pour quelques mois.

abeilles du soir d’été
par la fenêtre, parfois, la reine des abeilles venait dire bonjour.
fenêtre d’observation

J’ai grandi, surtout des cernes sous les yeux.

J’ai appris à repérer un essaim à l’odeur, au son. Je sais me taire quand une reine parle. J’ai appris sur moi que je peux tuer par amour. J’ai appris que je ne sais rien. Je comprends faire partie d’un monde fragile, d’un équilibre épais comme un fil d’araignée.

On a installé une mare, tué des frelons asiatiques, laissé le miel aux abeilles, veillé à leur tranquillité, semé du sarrasin, du trèfle blanc, laissé les chardons pousser … et pourtant.

Elles sont parties comme elles sont venues, nombreuses et mystérieuses.

Les champs sont jaunes autour de nous. J’ai du glyphosate dans les urines. J’entends le silence des abeilles.

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